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Si tu es arrivé ici, nous pourrons peut-être échanger quelques idées...

"Viscéral"... vingt ans après.

Publié le 4 Février 2020

"Viscéral" est un adjectif polémique accolé à la peur / haine qu'a pu susciter le mouvement communiste, autoproclamé par contraste "socialisme rationnel et scientifique". Dans cette logique, si le mouvement communiste est un "socialisme rationnel et scientifique", forcément les oppositions ne peuvent être qu'irrationnelles, "viscérales", illogiques, inexplicables et surtout illégitimes. Comme les adeptes de la Terre plate, des voyantes à boule de cristal ou de l'influence des extraterrestres sur la préhistoire.

Mais le mouvement communiste est-il vraiment un "socialisme rationnel et scientifique" ? Comment alors expliquer qu'il ait produit non pas des systèmes socialistes "à visage humain" satisfaisant leurs citoyens, mais des dictatures terrifiantes à polices politiques hypertrophiées, déportation de peuples entiers, camps de travail forcé, arrestations arbitraires, tortures en cours d'interrogatoires, censure omniprésente, pénuries permanentes, économie parallèle et corruption généralisées (et indispensables pour survivre), privilèges pour la bureaucratie et le complexe militaro-industriel, misère pour les travailleurs dont il était censé être le "paradis" et retards technologiques croissants sur le monde capitaliste qu'il était censé dépasser et vaincre ?

Et comment alors expliquer qu'un mouvement aussi "rationnel et scientifique" a finalement échoué face à un mouvement aussi "viscéral" que le capitalisme ? que son prestige se soit effondré (malgré ses victoires des années 1945-1975 et malgré tout son appareil de propagande) ? que ses adeptes et leurs descendants aient finalement adopté le capitalisme et le nationalisme, sans même parler des religions ?

Où est l'eau dans le gaz ?

Ne serait-ce pas, par hasard, le mouvement communiste qui était "viscéral", avec sa foi de charbonnier en un "paradis des travailleurs" dirigé par un bon "père des peuples" et avec sa confusion entre justice (sociale) et vengeance (de classe), qui ont coûté la vie à des millions de travailleurs ? Ne serait-ce pas, par hasard, le capitalisme mondialisé qui serait "rationnel et scientifique", avec ses études de marché, ses écoles de commerce, sa capacité à créer des besoins, à jouer sur le psychisme humain, à manipuler des sociétés entières, des pays entiers, à optimiser ses profits, à réduire ses coûts, à se faire passer pour le paradis du consommateur, à séduire les pauvres et à les attirer dans son système, à circonvenir tous les organes de contrôle tels l'OMC, la banque mondiale, la BCE, les parlements et les gouvernements ?

Pour avoir simplement posé cette question, j'ai moi-même été traité, il y a deux décennies, d'"anticommuniste viscéral",  et de "fasciste"  pour faire bonne mesure. Un syntagme forgé par le Komintern stalinien contre les trotskistes dans les années 1930, puis passé dans le langage courant de la gauche française grâce aux charbonniers à la foi inébranlable. Il ne pouvait pas y avoir d'anticommunisme par amour de la démocratie, par compassion pour les déportés ou par analyse logique. L'anticommunisme ne pouvait être que "viscéral", comme le "fascisme" auquel on l'assimilait.

Où, et par qui, ai-je ainsi été qualifié ? À l'université ? Au boulot ? Dans un parti politique ? Sur la place publique ? Dans un meeting, une manif ? Non. Dans deux associations humanistes qui prônent la tolérance et l'échange d'idées au bénéfice de valeurs morales et de la démocratie. Et qu'ai-je bien pu faire ou dire, hein Michel, hein Suzanne, hein Marie-Françoise, hein Mireille, pour mériter pareils qualificatifs ? Qui ai-je pu à ce point heurter, pour que cette personne répande auprès de vous ce venin ? Venin que vous avez naïvement diffusé sans vérifier, sans me connaître, sans même chercher à me connaître... (c'est d'ailleurs ce même venin, la même médisance intolérante qui a fait s'étioler votre cercle et qui a divisé votre carré après mon départ de l'un comme de l'autre).

Envers vous, naïfs charbonniers, je n'ai aucune animosité. Vous avez été manipulés. Par qui, je ne le saurai jamais. C'est sûrement quelqu'un qui n'a pas sa place parmi vous, quelqu'un de lâche puisqu'il ou elle n'a pas le courage de me déclarer ouvertement les reproches qu'il, ou elle, vous a chuchoté dans les parvis. C'est une personne qui, elle non plus, n'a pas cherché à vérifier, à dialoguer, à me connaître. Quelqu'un qui a du aimer Staline, et qui refuse de regarder l'avenir, de se dire "les bureaucrates et les flics politiques ont confisqué la révolution et l'espérance à leur profit ? eh bien on va tout recommencer" (et pourquoi pas ?). Quelqu'un qui s'accroche à son passé, ses regrets, sa rage, sa haine, et qui, à travers vous, les a déversés sur le miroir que j'étais. Mais casser un miroir n'a jamais fait disparaître les rides, les bubons furonculeux, les atteintes de la lèpre.

Certaines personnes ne comprennent pas que trente ans après la fin du Rideau de Fer, je puisse revenir sur ce passé qui fut le mien. Mais il ne s'agit pas de moi. Il s'agit du tsunami de retour des totalitarismes (sous toutes sortes de bannières) qui se profile à l'horizon. Partager ma mémoire n'est qu'un moyen d'attirer l'attention sur ce danger. Reproche-t-on à un juif de parler de la Shoah ? Là ce sont pourtant quatre-vingt ans qui ont passé...

Ces personnes préféreraient que je parle de l'avenir, mais un avenir construit sur des oublis aussi massifs est comme une maison construite sur un terrain glissant. Évoquer ce que personne en Occident ne veut entendre, n'est qu'un document parmi beaucoup d'autres que je partage. Mais, curieusement, lorsque j'envoie des documents sur la biologie des micro-organismes ou l'histoire des épidémies du passé et des changements qu'elles ont provoqué, ou bien lorsqu'ils concernent la transition dite "écologique" (qui est aussi énergétique, technologique, économique, sociale), personne ne fronce du nez.

Si j'étais réputé juif, personne ne froncerait non plus pour mes génocides. Mais aux yeux des rabbins je ne peux pas l'être, juif, et mon épouse non plus, bien que son nom figure sur le mur, à Paris, des personnes gazées à Auschwitz. Mais c'était sa grand-mère paternelle, pas maternelle. Il n'y a qu'aux yeux des nazis que nous sommes assez juifs.

Alors je me contente d'être le type de l'Orient en Occident, c'est à dire le survivant des génocides qu'il est, moralement et légalement, autorisé d'oublier. Si le mot Auschwitz évoque encore quelque choses à un lycéen sur deux, en revanche pour le Goulag c'est un sur vingt, et le LaoGaï ou PolPot, un sur mille. J'aimerais bien, moi, pouvoir cesser d'évoquer mon passé. Et je cesserai. Le jour où tous les morts seront enfin égaux, où le devoir de mémoire accordera à tous la même dignité. Le jour où il ne sera plus un enjeu géopolitique lié aux nationalismes présents.

Et puis, il y a quelque chose d'encore plus grave avec le rideau de fer. C'est la mort de l'espérance communiste. L'escroquerie du XX-e siècle, la confiscation de la révolution par la nomenklatura et les crimes immenses commis, pour commencer, contre les premiers révolutionnaires et les idéalistes. Comment réparer ça ?

Il n'y a qu'une solution : le "socialisme à visage humain" qui s'est concrétisé cinq fois : 1)- dans la NEP de Lénine ; 2)- dans les thèses de l'économiste et sociologue soviétique Evseï Liberman ; 3)- dans la tentative d'Imre Nàgy en Hongrie en 1956 (débordé sur sa droite par les nationalistes, puis dégommé par Khrouchtchev) ; 4)- dans le Printemps de Prague de Dubcek (là, Brejnev n'a même pas attendu qu'il soit débordé sur sa droite, et il ne l'aurait pas été, car les Tchèques sont peu nationalistes) et 5)- dans l'Eurocommunisme. Les cinq fois, la nomenklatura assoiffée de sang et d'esclaves (et sociologiquement souvent issue de la pègre et des couches les plus ignares, antisémites et homophobes de la société) a mis fin à l'expérience.

Aujourd'hui la nomenklatura a révélé son vrai visage depuis trente ans en passant avec armes et bagages au capitalisme et au nationalisme, et... le "socialisme à visage humain" reste la seule solution !!!!! Mais qui en veut ? Pas les capitalistes évidemment, durs comme Fillon ou Vauquiez ou mous comme Macron et Jacob (insulte suprême chez eux : "c'est le monde des bisounours" ). Ni les socialistes qui ont peur de leur ombre (insulte suprême chez eux : "tout ce qui vient de l'Est est ringard" ). Ni les Méluchonistes qui ont trop de comptes à régler pour vouloir d'un "visage humain", trop mou à leur goût (insulte suprême chez eux : "c'est de l'austro-marxisme" ). Et encore moins les trotskistes, trop fragmentés entre eux et s'accrochant comme des arapèdes à l'idée que seules les solutions violentes peuvent marcher (insulte suprême chez eux : "tout ce qui a échoué est bon pour les poubelles de l'histoire" ).

Et pourtant, le "socialisme à visage humain" reste la seule solution, même si nous ne sommes plus que quinze à le dire dans toute l'Europe. Il ne peut cependant redonner espoir que si les masses font le deuil des fausses promesses de la nomenklatura. Et pour faire le deuil de ces fausses promesses, il faut une catharsis, comme pour la Shoah. La catharsis du Goulag, des génocides, des règlements de compte de classe (eh oui, la vengeance, même de classe, n'est pas la justice même sociale). Il faut rompre avec le mal à la racine, rompre avec la radicalisation des bolcheviks pendant la Première Guerre Mondiale, car c'est de là que tout est parti, du discours de Lénine le 3 avril 1917 à la gare de Finlande à Petrograd.

Il leur faut admettre qu'ils ont eu tort, qu'ils ont ouvert la porte de la violence irrépressible d'État que plus rien ne peut modérer, celle qui non seulement ne peut pas conduire au communisme, mais renforcera l'État et ses Polices, en fera l'Unique Grand-Patron de toute l'économie, l'Unique Grand-Proprio de tous les logements, l'Unique Secrétaire Général de tous les syndicats et de toutes les associations, le Big-Brother suprême, le Juge suprême, le Geôlier suprême et le Bourreau suprême.

Tant que la gauche n'admettra pas ça et fermera pudiquement les yeux et les oreilles sur cette escroquerie du siècle, sur cette légitime lutte devenue crime, sur cette mafia substituée aux vrais combattants, eh bien l'espérance socialiste sera impossible à faire repartir.

Mais je peux comprendre que ceux qui ont cru au "Petit père des peuples" comme on croit en Dieu ou au Père Noël, aient du mal à admettre qu'ils se sont fait avoir, et qu'ils préfèrent dénigrer le lanceur d'alerte que je suis, plutôt que les escrocs et les assassins qui les ont jadis séduits.

Voilà pourquoi j'évoque mon passé. Derrière moi, des millions de morts (dont beaucoup de révolutionnaires) gisent dans l'oubli et le silence. Pour le plus grand profit du capitalisme !

Si j'ai été, parmi tant d'autres, miroir de cette "escroquerie du XX-e siècle" qui, d'une espérance paradisiaque, a fait un enfer sur Terre, c'est par amour et respect envers les victimes. Le même amour et respect que j'éprouve pour toutes les victimes de toutes les escroqueries, de toutes les dictatures, de toutes les déportations, de tous les génocides, de l'esclavagisme, de l'exploitation de l'Homme naïf, honnête et bosseur par l'Homme rusé, parasite et prédateur. Je ne fais pas de discrimination. La personne qui vous a manipulés, elle, en fait.

Quelle voix écouterez-vous ? La sienne ? la mienne ? Quelle voie choisirez-vous ? celle de la haine, de la rancœur, des regrets, des métaux tranchants, ou celle de l'amour, du respect envers le victimes, de l'ouverture d'esprit, de l'espérance régénérée (fut-ce par le feu) ? Personnellement cela m'est égal. Ma vie est vécue, mes devoirs accomplis, mes mots ont été écrits ou dits, mes petites pierres ont été insérées parmi les autres, le chantier peut continuer sans moi et je peux partir l'esprit tranquille à n'importe quel moment. Mais vous ? Quelle partie de vous-mêmes ferez-vous fleurir pour ce jour ou pour toujours ? Quelle trace laisserez-vous sur la trame de la vie ? Quel regard porterez-vous sur le sommeil des Hommes ? Quel avenir construirez-vous ?

Personne ne peut répondre à votre place. Mais ne méprisez pas tant vos viscères et ne gonflez pas d'orgueil vos neurones. Parmi vos viscères il y a le cœur. Et si vos neurones gonflent d'orgueil, votre esprit risque de devenir une baudruche. Ce serait dommage...

"Viscéral"... vingt ans après.
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