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Si tu es arrivé ici, nous pourrons peut-être échanger quelques idées...

Lumières dans l'obscurité

Publié le 28 Octobre 2013

Comme ils n'arrivent pas à bien s'expliquer le monde (mais au moins, eux ils essaient), les physiciens ont imaginé que la partie perceptible n'en représente qu'une petite fraction, et que le gros serait fait de "matière noire" et/ou d'"énergie sombre". Cette noirceur, cette obscurité, c'est comme Dieu : quelque chose que l'on ne peut ni voir, ni percevoir, ni mesurer, mais qui nous est indispensable pour expliquer tout ce que nous ne comprenons pas dans l'Univers et la vie. C'est le panorama de notre ignorance.

Quand nous voulons bien consentir à admettre nos limites, nos connaissances servent surtout à mieux mesurer nos ignorances. Enfin, en principe. Parce que dans la pratique, le singe prédateur, envieux, hargneux, voleur, veule, lâche, menteur, obsédé, addict à son propre orgueil que nous sommes, se convainc qu'il est supérieur aux autres parce qu'il a quelques connaissances. Voilà pourquoi il s'est auto-proclamé Homo sapiens sapiens (sachant, savant) alors qu'Homo stultus improbus (idiot et malhonnête) serait plus réaliste.

Rien n'est certain dans l'azur, mais mon expérience de vie est pourtant similaire à ça : j'existe, j'aime, je suis aimé, bref je vis, uniquement parce que dans l'océan noir du chaos, de l'absurde, de la violence, de la matière et du mensonge, il y a eu quelques trouées de Lumière. Je l'ai même dessiné (à la fin de cet article). Qu'en penser ? En 1979 en tout cas, j'en pensais, en toute naïveté, ceci :

ASSOCIATION ET DISSOCIATION

Deux tendances gouvernent les lois astronomiques, physiques, chimiques, biologiques, sociales et psychologiques : la tendance à l’association et la tendance à la dissociation.

En s’associant, les particules forment des atomes, les atomes des molécules et les molécules de la matière. En s’associant à grande échelle, les matières forment des astres (étoiles, planètes, comètes, etc...), et à petite échelle : des composés complexes.

En s’associant, les astres forment des systèmes et des galaxies ; les composés complexes forment toutes sortes de réactifs dont certains sont capables de s’allonger en chaînes, en attirant les molécules complémentaires du milieu environnant.

En s’associant, ces chaînes de molécules forment des spirales, des bulles et des coques de plus en plus complexes et actives, capables de fermenter les matières par milliards de tonnes, de convertir les liquides en gaz, de modifier l’atmosphère de toute une planète : ce sont les plus simples des formes de la vie : prions, virus, bactéries, archées et autres microcoques.

En s’associant, ces procaryotes forment des cellules eucaryotes, et les cellules forment des organismes, des plus résistants (l’éponge, le plancton végétal, les insectes) aux plus fragiles (corail ou humain).

En s’associant, les individus forment des groupes, des sociétés, des nations ; les espèces forment des symbioses. En associant leurs capacités, les êtres humains peuvent former des équipes performantes, enrichissantes et agréables pour chaque membre. En s’associant, les groupes, les sociétés et les nations peuvent former des communautés puissantes, des civilisations brillantes, des grands projets.

Mais tout ce qui s’associe peut se dissocier.

La dissociation peut venir de l’extérieur, s’il survient un évènement destructeur, ou de l’intérieur si les membres de l’association cessent d’être complémentaires. Pour les systèmes matériels, la dissociation, c’est la dissolution et la dispersion. Pour les sociétés et les civilisations, c’est la faillite, la décadence et l’écroulement. Pour un couple, c'est le divorce. Pour les organismes vivants, c’est le parasitisme, la maladie et la mort.

De tout temps, l’association construit et la dissociation détruit ; des cycles, des hauts et des bas, des crises ponctuent cette dialectique, mais à long terme, c’est l’association qui l’a emporté, depuis le chaos ou le “ big-bang ” originel jusqu’à l’incroyable diversité actuelle, depuis l’immuable “ loi de la jungle ” jusqu’à la civilisation mondiale actuelle dont la conscience est planétaire et dont le crédo, sinon la pratique, est la Déclaration Universelle des Droits Humains (même s’il reste énormément d’aspects dissociateurs). Nous pouvons donc imaginer que cela pourrait continuer. L'espoir est gratuit...

NEOTENIE

La clef de notre évolution psychique est notre néoténie, ou juvénilité.

Ce terme biologique veut dire que même adultes, nous pouvons garder la souplesse, les facultés d’apprentissage et d’adaptation, la curiosité, la créativité et le dynamisme propres à l’enfance (et qui normalement disparaissent avec elle). Chez la plupart des autres espèces, l’adulte est un être achevé, mais également immuable, prévisible, rigide. L’instinct, ce programme de comportement préétabli, domine toute son existence.

De l’Insecte à l’Homme, la néoténie va croissant, la place de l’instinct va diminuant. Nous avons des réflexes, mais l'instinct est chez nous remplacé par des pulsions. Contrairement aux instincts, nos pulsions sont souples, modifiables, sublimables et multiformes. Les très prévisibles instincts deviennent chez nous un bouquet de pulsions multicolores.

Mais même chez nous, la néoténie est limitée par des rigidités. Ces rigidités ne sont pas instinctives. Nous avons remplacé les instincts qui nous manquent par des traditions, des cultures, des hiérarchies, par le dressage à l’obéissance. Car nous avons peur de ne pas pouvoir contrôler nos pulsions (qui, nous le sentons, peuvent mener à tout), peur des conséquences de notre néoténie: nos règles, fois et lois sont là pour compenser la disparition des repères instinctifs. La fonction rassurante... et sclérosante de l'instinct animal est, chez nous, remplacée par la tradition.

Au fond, nous avons peur de notre condition humaine.

Et cette peur nous paralyse, ralentit notre évolution, gâche nos enfances et nous maintient proches de l’animalité. Comme les animaux, nous marquons nos territoires, vivons en hiérarchies, en conflits, en dissuasions ; nous suivons des maîtres, nous suivons des règles - même pesantes, et nous codifions notre comportement. Mais comme nous ne sommes pas des animaux, cela nous laisse toujours un goût d’insatisfaction.

Car nous aspirons à autre chose, à une vie plus conforme à notre condition d’humains capables de tout. Et comme nous n’arrivons ni à définir ce que serait cette vie, ni à combler cette insatisfaction, nous compensons par différentes passions, par le travail, la guerre, la nourriture, l’alcool, le pouvoir, le savoir, la générosité, l'avidité.

A l’aube du troisième millénaire (d’après le calendrier chrétien) nous commençons pourtant à savoir d’où nous venons, qui nous sommes et où nous devons aller pour vivre pleinement. L’enfant n’est plus un morveux mais une personne, tout comme le handicapé, l’étranger et l’animal. L’individu n’est plus un outil mais un partenaire ; les traditions se discutent, les décisions se contestent.

Nous commençons à entrevoir toutes les richesses et les potentialités de notre condition humaine ; elle nous fait moins peur ; nous l’explorons (du moins en Occident, ce cinquième d'humanité qui bénéficie de 85 % des richesses du monde, et qui influence toute la Terre).

Et nous commençons à comprendre qu’elle n’est pas incontrôlable ni chaotique, et que la cause principale des excès impulsifs est due, non à la nature même de nos pulsions, mais à leurs réactions aux contraintes des traditions. En atténuant l’opposition pulsions/traditions, en jouant sur notre formidable capacité d’imitation, d’adaptation et d’innovation, nous commençons à nous faire confiance, à croire en nous-mêmes, non pas béatement mais pragmatiquement, avec réalisme... vigilance... et modestie.

Les abus de pouvoir, la coercition et les modèles imposés, tout comme nos sacro-saintes hiérarchies, sont les marques de notre animalité humaine ; du reste, on les retrouve dans certaines sociétés animales. C'est là, dans nos hiérarchies, notre social et nos vernis, que réside notre animalité, et non dans nos pulsions. Nos pulsions, elles, nous distinguent au contraire radicalement des animaux, puisqu'elles sont chez nous susceptibles de toutes les sublimations et de toutes les perversions, alors que l'instinct animal est toujours le même pour chaque espèce, et invariable (sauf sur des millions d'années et par mutation).

Pour le singe prédateur, l'autre n'est qu'un objet ou une proie, agréable à piétiner, non se défendre, mais simplement parce que ça l'arrange. Le singe humain franchit alors une limite, que ce soit en arrachant un sac à main ou en massacrant un peuple. Et cela quels que soient ses mobiles, son passé, son âge, ses moyens, son instruction. La souffrance et la misère peuvent être des explications, pas des excuses : tous les pauvres, tous les marginaux, tous les meurtris ne deviennent pas des prédateurs. Et les prédateurs ne sont pas tous des meurtris de la vie. Par contre ce sont tous des égoïstes, dont la devise est: "moi d'abord, toi tu peux crever".

Mais ce qui se passe à l'échelle d'un individu n'est rien à côté des famines provoquées par l'agro-alimentaire, du tir aux pigeons de toutes sortes de "rebelles" auto-proclamés sur des avions de ligne civils, ou des magouilles quadrangulaires services spéciaux-fanatismes-armements-paradis fiscaux qui érodent les efforts des utopistes (que les magouilleurs méprisent) et qui, pour monter un paradis factice pour une minorité et selon des critères purement matérialistes, construisent un enfer réel pour la majorité, dont les critères mèneront invariablement à de nouvelles crises, de nouvelles convulsions, de nouveaux massacres.

Même les limaces ont plus de sagesse que cela.

Homo sapiens, mon oeil !

Mais au fait, qu'est-ce qu'une utopie ?

UTOPIES ET REALITES

Une utopie est une idée qui paraît loufoque au moment où elle est émise pour la promière fois, mais qui finit par apparaître comme un besoin légitime et, après lutte entre conservateurs et innovateurs, finit par devenir banale réalité, que tout le monde trouve normale.

Il n’y a pas d’utopie irréalisable. Trois siècles, ce n’est RIEN dans l’Histoire de l’Humanité: à peine un clin d’oeil. Or, il y a trois siècles, cela paraissait complètement utopique d’imaginer en Europe un monde sans peste, sans famine, sans gibets, sans douanes d’un comté à l’autre, sans attaques sur tous les grands chemins, un monde où l’on puisse rallier Paris à Marseille dans la journée, rentrer chez soi, appuyer sur quelques boutons et avoir le soir dans sa demeure : l’eau courante ; un bout de Soleil au plafond ; un repas de roi avec viande, desserts et vin ; un lit de roi avec matelas, draps propres et couverture épaisse...

Or, les neuf dixièmes des Européens d’aujourd’hui, même les Smicards, même les Russes, ont cela. Il faut être clochard ou réfugié du moyen-orient pour en manquer et même alors d’autres Européens sont là pour vous aider.

Hier utopie, aujourd’hui réalité.

Hier l’on raillait l’utopiste prétendant qu’il est possible d’apprendre à lire et écrire à neuf Européens sur dix ; aujourd’hui on trouve anormal d’avoir encore 10 % d’illettrés.

Alors ne raillons pas les utopies d’aujourd’hui : elles peuvent être les réalités de demain.

Ceux d’entre nous qui aujourd’hui s’exclament : “-pff ! utopie, tout ça ! c’est pas sérieux!”, laisseront demain le même souvenir que ces villageois qui, en 1783, percèrent de leurs fourches et exorcisèrent la première Montgolfière, venue atterrir dans leurs prés.

HOMINISATION ET HUMANISATION

L'Homo heidelbergensis représente la branche européenne d’Homo erectus (l'homme dressé) ; la branche africaine est l'homme de Rhodésie et la branche asiatique, l'homme de Pékin. C'est lui qui, il y a au moins 400.000 ans et peut-être deux fois plus, a vécu la première grande révolution humaine : celle du jet d'objets sur une cible visée, et du feu. Dès lors, même sans crocs, griffes ou aptitude à la course, il est devenu un redoutable prédateur et il a modifié l'environnement au profit des zones de végétation ouverte : son propre milieu.

Les néandertaliens ont peuplé nos régions de 125.000 à 30.000 ans avant le présent. Ils partageaient la même technicité et la même culture que les sapiens, mais avaient un physique et un génome différents. Les deux espèces étaient interfécondes et nous avons 20 % de gènes néandertaliens (selon Svante Pääbo).

Apparu en Europe il y a 35.000 ans, le soi-disant "sapiens" a vécu, il y a entre 8.000 et 2.000 ans selon les régions, la deuxième grande révolution humaine : celle de la domestication, de l'agriculture, de la sédentarisation et de l'écriture (qui marque la sortie de la préhistoire et l'entrée dans l'histoire), phénomènes liés qui ont transformé ce grand chasseur-pêcheur-trappeur-cueilleur en paysan. La productivité agricole, bien supérieure à celle de la chasse et de la cueillette, mena à l'émergence de royaumes, d'empires et de républiques : progressivement, l'être humain se transforma en citadin, ce qui à la longue lui permit, depuis 250 ans, de vivre la troisième grande révolution du genre humain : la révolution scientifique et industrielle qui nous a donné accès à d'immenses connaissances, à l'électricité ("domestication" de la foudre), aux énergies fossiles et fissiles qui ont centuplé notre puissance, aux moteurs, au vol aérien, au monde sous-marin, à l'espace interplanétaire, à l'hygiène, à l'eau courante, au partage mondial de la communication, des connaissances, des richesses et des problèmes… : un changement d'une ampleur inédite dans l'histoire de la planète, et visible depuis l'espace (la nuit, la Terre brille désormais de nos feux électriques).

Cette évolution "technique" du genre humain s'est déroulée en parallèle d'une évolution "éthologique" (du comportement) qu'on appelle l'hominisation et qui a vu reculer les déterminismes des instincts (qui donnent, à chaque espèce, un même comportement, un même langage, un même rôle écologique) au profit de la variabilité de nos pulsions (qui, elles, peuvent prendre des formes très différentes, ce qui, pour retrouver la cohésion des instincts perdus, nous a menés à inventer des coutumes, des religions et des lois qui varient d'une culture à l'autre ; par ailleurs, nous avons plus de 6.000 langues dans notre espèce, et même dans une langue commune, les malentendus restent fréquents). L'hominisation (le recul des déterminismes des instincts) est due à ce que les biologistes appellent la néoténie (la conservation tout au long de la vie, des capacités de la jeunesse : apprentissage, changements de comportement, jeu, grande adaptabilité, inventivité).

L'hominisation nous concerne tous (il n'y a plus d'"hommes sauvages" ), tandis que l'humanisation (le recul des déterminismes de la peur et de l'agressivité) est inachevée : il y a des idéologies et de lois de paix, de coopération, de respect des droits et des ressources d'autrui, de la diversité, mais pas partout et pas pour tous : cependant, ce qui paraissait utopique il y a 300 ans (fin des grandes épidémies, abolition de l'esclavage, égalité des sexes devant la loi, médecine ou éducation pour tous par exemple) est réalité aujourd'hui de plus en plus répandue, et ceux qui s'y refusent passent pour des "sauvages".

L'enjeu de la réussite de notre humanisation par la concrétisation des utopies et par le renoncement à la violence et à l'égoïsme, n'est pas seulement l'image que nous laisserons à nos descendants, c'est la survie même de notre espèce : si nous continuons à agir comme des prédateurs avec les moyens techniques déjà surhumains dont nous disposons, notre avenir n'excédera pas quelques siècles, des siècles d'injustice et de poisons.

Le choix est simple : l'humanisation ou la mort... Ce sera la mort si nous ne menons pas à bien nos processus d'humanisation, comme nous avons jadis mené à bien les processus d'hominisation.

En ces d'échec, aucune de nos espérances ne s’accomplira, et nous disparaîtrons après avoir ravagé la planète, qui continuera à tourner sans nous. Certains disent déjà : "bon débarras" (Yves Paccalet).

Lumières dans l'obscurité
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